Un boulot pour Dieu

Publié le 26/04/18 - Hervé Beauno

Un boulot pour Dieu - Hervé Beauno

Dieu s’ennuie. Il n’a plus rien à faire, ou plutôt on ne le laisse plus faire son job. Pendant des jours et des jours, disons sept, Dieu s’est creusé les méninges pour accomplir des prouesses qu’il pensait extraordinaires. Il y a mis tout son cœur, toute son énergie. Partout, on ne parlait que de cela. Son chef-d’œuvre avait un nom : la Création !
A cette époque très lointaine, il avait sincèrement cru avoir atteint le sommet de sa carrière. Le Père de tous, le Créateur, la Star des stars. Pas une seule fois, il n’aurait imaginé être ainsi déchu, presque oublié, retranché dans sa solitude.
De là où il se trouve, quelque part dans le ciel, Dieu ne côtoie plus grand monde. Ses amis d’autrefois sont occupés. A trop vouloir déléguer, il en a perdu son propre travail. Avec clarté, Saint-Pierre gère les arrivées au Paradis, Satan dirige l’Enfer d’une main de maître et tous les autres poursuivent ainsi la tâche qui leur a été attribuée depuis des siècles. Après tout, Dieu ne peut s’en prendre qu’à lui-même, il a créé des employés de qualité qui s’en sortent très bien sans lui.
Sur Terre, le résultat diffère légèrement. Volontairement, il a octroyé à l’Homme la faculté de choisir, en utilisant le libre-arbitre, et s’est retrouvé le dindon de la farce quand sa propre progéniture lui a tourné le dos. Maintenant, plus aucun de ses gosses ne l’écoute. Certains parlent en son nom sans même lui avoir demandé son avis, d’autres font semblant qu’il n’existe pas, ou encore certains se foutent complètement de savoir si Dieu veille sur eux ou non.
Ainsi, le Créateur et Père de tous décide qu’il est grand temps de changer de métier. Son entreprise tourne seule, il doit se résoudre à quitter le navire pour un avenir meilleur et moins solitaire. Mais la reconversion n’est pas évidente. En théorie, il peut tout faire. Toutefois, ayant perdu toute crédibilité auprès de l’Humanité, il doit trouver un moyen de se mettre en valeur, de présenter son expérience pour mieux faire valoir ses capacités.
Ainsi, Dieu s’assoit devant son bureau en forme de nuage et se concentre sur son avenir. Comme toujours, il commence par le commencement. Un peu de lumière, pour mieux voir, et une recherche Google, pour trouver des pistes de reconversion. Dans le moteur de recherche, il tape : « travail pour Dieu ».
Dieu découvre ainsi, pour la première fois, la débilité d’Internet. Les résultats sont tous plus idiots les uns que les autres. Il essaie d’autres mots clés : « trouver un travail ». Cette fois-ci, il est satisfait. Il découvre des sites de recherche d’emploi et s’empresse de cliquer sur le premier qui s’offre à lui.
Pour obtenir un travail, il est indispensable de se constituer un CV dans lequel serait décrit tout ce que l’on sait faire. Pour l’Immortel, un premier problème se pose. Il sait tout faire et ne peut donc pas se permettre de fournir un CV infini, beaucoup trop long à lire ou même à écrire. Pour plus de simplicité, il se contentera de décrire la Création, l’œuvre de sa vie, celle qui l’a rendue célèbre.
Dieu suit le modèle proposé par Internet et tape les premières lignes de son CV.
Nom : Dieu. Prénom : Dieu.
Mince, il coince déjà. S’il écrit cela, on l’appellera Dieu Dieu. Il change de stratégie.
Nom : Di. Prénom : Eu. Un éclair retentit. Il sent la colère monter en lui pour un sujet aussi futile. Il passe à la ligne suivante : Date de naissance. De rage, il explose la Lune.
Dieu se reconcentre, répare ses quelques débordements, puis reprend ses efforts. Cherchant un travail humain, il invente une date de naissance réaliste pour un mortel en recherche d’emploi.
Une fois les détails personnels rédigés, il s’attèle à la description de son travail qui s’est effectué selon sept journées au cours desquels il a créé le monde.
Jour 1  - Mise en place de la lumière
Jour 2  - Séparation des eaux
Jour 3  - Premières plantations
Jour 4  - Création de l’espace
Jour 5  - Création des animaux
Jour 6  - Création d’autres animaux et de l’Homme
Jour 7  - Repos
Dieu relit ces quelques lignes. Il ne veut pas en faire trop sans pour autant minimiser ses actes. Finalement satisfait, il se décide à poster son CV en ligne. A peine quelques heures plus tard, un chasseur de têtes le contacte.
Dieu est ravi d’enfin susciter un intérêt chez un autre que lui, même s’il est conscient que celui qui l’appelle n’est qu’un businessman avide d’argent. Peu importe, il décroche.

- Allo, mon fils.

- Pardon ? s’étonne le chasseur de tête.

- Excusez-moi, se reprend Dieu. Je croyais qu’il s’agissait de mon fils, ment-il.

Peu intéressé par ces explications, le chasseur de tête engage la conversation.

- Alors… Vous êtes monsieur Di, c’est ça ?

- Oui. Di Eu.

- Très bien, très bien.

- Vous recherchez quel genre de travail ?

- Tout me convient !

- Ah !

Dieu entend les pensées de son interlocuteur qui le place déjà dans la case de ceux qui n’ont pas d’ambition.

- Votre expérience est variée !

- Dieu est enfin ravi de voir son œuvre appréciée à sa juste valeur.

- Donc vous indiquez des jours de 1 à 7. Dois-je en comprendre que vous avez travaillé seulement sept jours dans votre vie ? Et encore je ne suis pas sûr que repos soit considéré comme un travail effectif.

Comme rarement, Dieu est tremblant.

- En fait, pendant ces sept jours, j’ai…

- Six jours ! le corrige le chasseur de têtes.

- Oui, pardon, six jours ! Pendant ces six jours j’ai accompli le plus gros de ma mission.

- Ah, je comprends mieux. Donc vous avez installé des ampoules, des robinets, planté des fleurs, confectionné des animaux, en pâtes à modeler je suppose, et d’autres animaux et des humains. C’est bien ça ?

- En fait…

- Et vous avez eu besoin de six jours pour ça ?

- C’est que…

- Vous travailliez pour la mairie ?

Dieu est complètement désemparé. Il hésite entre détruire l’univers et reprendre son souffle. Il inspire, expire, se contrôle.

- Je voudrais simplement travailler, monsieur.

- Je vois… Je vois… Quelles sont vos prétentions salariales ?

- Je n’en ai pas.

- Ah !

Le chasseur de tête trouve enfin cette aubaine qu’il attendait tant. Il ne travaille pas pour Pôle Emploi et son seul objectif est de gagner le fric dont il a tant besoin pour sa femme, son ex-femme et sa maîtresse.

- J’ai ce qu’il vous faut, monsieur Di. Un emploi de jardinier chez des particuliers pour 600€ par mois. Qu’en pensez-vous ? Il y aura de la lumière, des robinets, des plantes, des animaux et même des humains. C’est super non ?

- C’est parfait !

Ainsi commence la vie professionnelle du Père de tous, du Créateur. Le premier jour, il comprend que pour travailler, il faut se lever bien avant que la lumière soit. Malgré ses milliards d’années, se réveiller aussi tôt est toujours un calvaire.
A la différence de la Création, son patron n’attend pas le troisième jour pour planter des fleurs. Entre moustiques et araignées, Dieu creuse, laboure, taille, plante, arrose. Du matin au soir, sans pause, il travaille. Vivement le septième jour…
Mais outre le dur labeur, Dieu découvre qu’il est passé à côté de sa vie. Au cours de milliard d’années, il n’a jamais pris le temps. Le temps de respirer le doux parfum des fleurs, le temps d’observer les détails d’une simple feuille, de sentir la brise sur la peau. Jamais encore il n’avait pris suffisamment de recul pour savoir apprécier son travail.

- Je démissionne, lâche Dieu à son patron au bout du sixième jour.

Excédé, le patron prévient le chasseur de têtes qui ne semble pas surpris.

- Il fait toujours ça ! Il bosse six jours et après il s’arrête !

Ainsi, le septième jour, Dieu se repose. Sur le sommet d’une montagne, il s’assoit et observe l’horizon, son horizon.

- L’Homme est fait à mon image !

Soudain frappé par cette révélation pourtant si évidente, Dieu disparaît et rejoint le ciel. Il invite aussitôt ses équipes pour leur présenter son nouveau projet. Il ne s’agit plus de Création mais d’Evolution.
Dans la grande salle de réunion du Ciel, tous les architectes de la vie et de l’après-vie sont en alerte. Dieu n’avait rien organisé de tel depuis plusieurs milliards d’années.

- Mes amis, j’ai pris une décision.

- Plus personne n’ose parler, dans l’attente de cette grande révélation.

- Je suis parfait mais j’ai quand même fait une erreur. A partir de demain je corrige. Désormais, vous, nous, les humains, tout le monde aura ce petit truc en plus qui changera vos vies et résoudra tous les maux de l’univers.

La foule est impatiente.

- Dès demain, nous allons apprendre à apprécier ce que nous avons !

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