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Les micro-nouvelles de Hervé Beauno

Des histoires courtes pour découvrir mon univers

Le collectionneur

Publié le 23/05/18 - Hervé Beauno
Le collectionneur - Hervé Beauno

Le collectionneur - Hervé Beauno

L’homme ronfle dans un tremblement de tous les diables. Sa lourde respiration résonne d’un bout à l’autre du salon. Autour de lui, des centaines de bibelots vacillent, oscillent, mais ne tombent pas. Les verres en cristal vibrent, chantent et résistent pourtant. Les tableaux balancent sur leurs cochets sans céder à cette foutue pesanteur qui les invite à la rejoindre. La sérénité le berce de ce sommeil profond alors même qu’au bout du couloir le loup guette.

En silence, je m’avance sur le tapis rouge et bleu, tentant de me frayer un chemin entre les innombrables bibelots et sous-vêtements jonchés sur le sol. Chaque enjambée est méticuleusement anticipée, réfléchie, une seule erreur et tout pourrait basculer. Surtout ne pas le réveiller ! Un pas de plus, puis un autre. Plus que quelques mètres me séparent de ma cible bourdonnante.

L’aventure devient alors encore plus périlleuse. Le tapis, qui amortissait mes mouvements, se termine en un parquet d’un autre temps. Celui qui craque au moindre battement de cil. Je place un premier orteil, puis un second. Délicatement, je pose le reste de mon pied. Sans surprise, le bois s’exprime dans un grincement. J’ai peur. J’attends un peu, je l’observe, il ne réagit pas. Au contraire, il redouble d’intensité ses ronflements. Est-il seulement possible de dormir aussi profondément ?

Pas à pas, je continue, je me rapproche. Je me faufile entre les tubes de peinture, les toiles à moitié terminées, les pinceaux dégoulinants. J’évite d’autres slips et chaussettes oubliés parterre. Cet endroit est un vrai foutoir ! Au grès des grincements, je poursuis ma mission impossible. Ai-je seulement une chance d’y parvenir ? Si près du but, je ne peux plus reculer.

Déjà, je le vois plus nettement. Je distingue son visage d’ahurie, son accoutrement grotesque. Pas étonnant qu’il ponde des œuvres aussi bizarres. De plus près, son nez me paraît énorme. Entre deux ronflements, je distingue sa glotte en souffrance au fond de sa gorge. La si célèbre star est bien moins impressionnante ainsi. C’est ça qui me passionne ! Faire tomber les monuments pour me sentir plus humain, plus vivant.

A quelques centimètres de lui, je tends le bras. Son parfum de vieux et d’eau de Cologne me saute au visage. J’en perdrais presque l’équilibre. Je me reconcentre, reprends mon souffle. Du bout des doigts, je l’effleure, cesse de respirer puis m’agrippe à ma prise. Une dernière fois je jette un coup d’œil alentours, un souvenir que je ne veux pas oublier. Des dizaines de tableaux, tous plus déjantés les uns que les autres, décorent cet antre apocalyptique d’un artiste illuminé. Des montres dégoulinantes, des visages étranges. Je le regarde dans son sommeil. Un léger filet de bave lui coule au coin des lèvres.

Je me lance. Un, deux, trois. D’un coup sec, je tire sur ma prise et file aussi vite que ma peur. Il se réveille, hurle, m’insulte dans un espagnol incompréhensible. Dans sa robe de chambre en soie jaune, il me pourchasse d’un bout à l’autre de son appartement. Par chance, je parviens à m’échapper, mon trophée à la main. Rêveur, je l’imagine déjà dans ma vitrine, entre les lunettes de Polnareff et l’ampoule de Claude François, elles aussi dérobées à leur insu, dans son cadre en verre avec sa petite plaque gravée « Poil de moustache de Dali, volé entre deux ronflements ». 

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Merci de m'avoir lu! Et si vous découvriez mes romans (disponibles partout!)

http://hervebeauno.wifeo.com/parutions.php

Ou une autre nouvelle:

http://hervebeauno.over-blog.com/2018/05/celui-que-je-suis.html

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