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Les micro-nouvelles de Hervé Beauno

Des histoires courtes pour découvrir mon univers

Celui que je suis

Publié le 09/05/18 - Hervé Beauno
Celui que je suis - Hervé Beauno

Celui que je suis - Hervé Beauno

Les années s’effacent, les souvenirs demeurent, bien ancrés au plus profond de nos mémoires. Presque sadiquement, ceux que l’on voudrait oublier résistent encore davantage.

Aujourd'hui comme hier, je me souviens de ce jour, de chaque détail, de chaque émotion, de chaque regard. Je revois ce petit garçon que j’étais, pur, inconscient du monde qui l’entourait. Rien ne m’avait préparé à cela. De ma campagne, je découvrais la ville et ses déboires, la jungle et ses prédateurs. Un monde hostile auquel j’étais bien incapable de faire face.

Pourtant, tout avait commencé de manière banale, insignifiante, sournoise. Des petites moqueries anodines sur mes oreilles en chou-fleur, sur mes bonnes notes que je pensais un signe de réussite, ou encore sur mon parfum de citronnelle, répulsif à moustiques, qui rappelait, selon eux, la pisse de chat. Rien de grave, des mots, des phrases sans intérêt qui ne blessent qu’en des horizons cachés. Les faire glisser loin dans mon âme pour réduire la blessure était un jeu d’enfant.

Mais les blessures disparaissent-elles seulement un jour ? Ce ne fut que bien plus tard que je compris que jamais elles ne s’effacent. Elles sont toujours là et vous suivent chaque jour de votre vie, derrière chaque pensée, chaque émotion, comme un fardeau ou un garde-fou.

Certaines personnes possèdent un don incroyable, celui de déceler ces blessures afin de les creuser davantage. Je pense que c’est pour cela qu’il m’a pris pour cible. Je n’avais alors que 12 ans. Un jeune adolescent faible et ignorant. Chaque semaine un peu plus, il gagnait du terrain sur moi, la proie facile. D’abord verbale, je sentais bien que l’agression allait devenir physique. Il n’attendait que cela, presque comme un totem, une fierté devant ses camarades, devant mes camarades. Certains s’associaient à ses efforts, la plupart détournait le regard et les autres se révoltaient en silence, apeurés que la situation se retourne contre eux. J’étais seul…

Et puis ce jour arriva. Sans que je ne m’y attende, il me coinça dans la cours du collège et entama son approche. D’abord quelques insultes ordinaires - j’avais l’habitude - puis il continua, toujours un peu plus loin, toujours un peu plus fort. Puis enfin il se lança. Aucune violence physique, à proprement parler. Avec le recul certains diront même que j’exagère. Il ne s’agissait que d’un simple crachat après tout ! Rien de grave. Pourtant, vingt ans plus tard, je me souviens encore de tout, de chaque seconde, de chaque souffle, de chaque instant de peur et de haine.

Confus et apeurés, moi et ma blessure d’autrefois, nous nous sommes enfuis, loin, très loin, pour oublier. Nous avons continué ainsi, au fil des années. Fuir pour échapper. Depuis, je trimbale cette histoire avec moi, et surtout ses conséquences. Souvent j’y pense, rarement j’oublie.

Et si je lui avais cassé la gueule ? Combien de fois me suis-je posé cette question… Où en serais-je maintenant ? Serais-je devenu moins lâche ? Plus fort ? Ou plus con ? Existe-t-il seulement une vérité ?

La vérité absolue n’existe pas. Voilà une certitude que j’ai acquise en vingt années de fuite. J’aurais probablement pu décupler mon égo en montrant que, moi aussi, j’avais du répondant ; j’aurais pu aussi comprendre que chaque acte a une conséquence et me faire casser la gueule à mon tour.

Le cheminement d’une vie n’est pas simple et nous conduit souvent sur des routes étroites, peu fréquentables, que l’on voudrait fuir. Parfois nous les traversons brillamment, d’autres fois nous les évitons. Peu importe. Ce qui compte n’est pas ce que nous faisons mais la manière dont nous nous percevons ensuite.

Vingt ans. Deux décennies pour enfin comprendre ce que je dois à tous ceux qui m’ont fait souffrir, qui m’ont blessé. C’est étrange en effet, mais je leur suis reconnaissant car désormais ils font partie de moi, de qui je suis. Peu importe si j’ai fui. Grâce à tout cela et plus encore, je suis fier de qui j’ai été et de qui je suis et, surtout, je ne crains pas celui que je vais devenir.

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Merci de m'avoir lu! Et si vous découvriez mes romans (disponibles partout!)

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Ou une autre nouvelle:

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